Le premier roman d'Antonio Beltrán Hernández, auteur mexicain vivant entre Paris et Mexico et écrivant aussi bien en espagnol qu'en français, pourrait, par son intrigue, être un roman policier. Mais un roman policier (ou plutôt, un thriller linguistique) écrit par un disciple du grand Borges, tout aussi fasciné que son maître par les langues, de l'hébreu et de l'arabe au japonais et à l'islandais, en passant par le suédois, le sanskrit et le persan, langues que l'auteur a étudiées. Ce pourrait être un roman d'espionnage avec la CIA pour protagoniste. Ce pourrait être un Bildungsroman (roman d'apprentissage), celui d'une jeune avocate de l'aristocratie chilienne qui déchire le voile de la vérité et déclare la guerre à la famille et à la classe au sein de laquelle elle a grandi. Ce pourrait être un roman historique, puisqu'il revisite le XXème siècle et certaines de ses tragédies, des conséquences ultimes de la Seconde Guerre mondiale aux guerres néocoloniales du début de notre siècle. Ce pourrait être un roman philosophique, sur le thème de l'impunité et de la justice. Ce pourrait être un roman américain, puisqu'il se déroule en grande partie entre Santiago, Valparaiso, Chuquicamata, Buenos Aires, Mexico, Chicago et New York. Ce pourrait être un roman européen, puisqu'il se déroule aussi bien à Paris qu'à Uppsala, Lund, Bräkne-Hoby, Göttingen, Vienne et Berlin. Ce pourrait être un roman asiatique, puisqu'il nous promène dans l'Inde des Védas et du Mahâbhârata et nous emmène au Vietnam en guerre et dans le Japon de Kobe et Nagasaki. Et ce pourrait être un roman gastronomique, puisqu'il nous fait découvrir quelques exquis mets mexicains et quelques breuvages non moins exquis. Ce pourrait être aussi un roman scientifique puisqu'il nous met en face de l'horreur atomique et psychopharmacologique et du bonheur des avancées technologiques et de la conquête de l'espace. Ce pourrait être, enfin, un roman théologique, sur le thème du Mal, de la Faute et de la Rédemption dans cette vallée de larmes où nous vivons. La vallée de larmes, pour dire les choses simplement, est tout cela à la fois. Bref un texte appelé à devenir un "classique du XXIème siècle", destiné au public d'un monde définitivement réduit aux dimensions d'un village - on dit "globalisé" -, et dont la culture quotidienne est désormais un patchwork qui s'apparente à un costume d'Arlequin. Toutes ces couleurs vont se mettre en mouvement, comme dans un disque de Newton, pour faire éclater devant nos yeux la vérité, une vérité, la vérité toute simple et banale - aussi évidente qu'invisible - perceptible uniquement depuis la banlieue du monde, cette cité perdue qui pour certains se trouve au-delà de l'infini. Pour venir creuser davantage notre grande vallée, il vous sera permis de pleurer de douleur et d'émotion, mais aussi de bonheur. Et ce même bonheur vous permettra aussi, peut-être, de rire.